À hauteur de conventions

Publié par le 16 juillet 2020mai 14th, 2021Poèmes

On dit la fureur parce qu’on n’ose pas dire la tendresse.
On craint de trop se trahir.
Et finalement on ne dit rien que des devinettes.
On s’offre à l’autre en puzzle à reconstituer.
Il faut être un monomaniaque pour persévérer dans les cas où l’être est fragmenté en milliers de pièces.
Ce qui rendent addictifs les jeux que sont les autres ce sont les victoires.
Les victoires sans cesse répétées.
Les énigmes impénétrables rebutent le voyageur quand brillent les premières ombres.

Car il avait confondu ce pays avec son dépliant touristique.

***

Je n’ai jamais vraiment existé, c’est pour cela que mon existence est à défendre.
Comme vous. Qui peut prétendre, vraiment, exister ?
Je vois surtout des ombres qui hantent les jours et les nuits abolies par les gyrophares bleus.
Cette époque me fait pitié.
Non que l’on regrette les temps tyranniques et l’éclat du supplice
Mais il faudra un jour avouer
qu’il y eut sans doute plus de chaleurs autour des bûchers de l’inquisition
que
ma foi,
dans les dîners de Noël en famille. Il est de notoriété désormais que le feu dans l’âtre, l’imitation des bougies par les guirlandes, les bougies elles-​mêmes ne sont là que pour remplacer une chaleur absente par sa représentation.
Comme la vie, absente, est elle-​même remplacée par sa représentation.
Je suis la schizophrénie qui vient par-​delà le Spectacle.
Le produit de la radicale impossibilité de vivre qui est le seul commun de notre temps.
Qui dira la tristesse d’une telle ère ? Moi je la dirai !
En laissant volontairement de côté ce qu’elle comporte de banal.
L’excès est le nom qu’il faut donner à cette petite part de l’Histoire que les humains font entièrement.
L’histoire se construit autour des agressifs.
On n’aurait pas sinon bâtit tant de civilisations.
On ne les aurait pas détruites non plus.
C’est un fait que l’on retient bien mieux les mots méchants que les descriptions minutieuses.
On oublie les pommades, jamais les cicatrices.
Tout bandage se défait et laisse à nouveau votre cheville nue.
L’entaille à chacun devient visible.

Je suis la main venue d’elle-même mutiler la jambe qui en soutient le corps.

***

Un jour ils ont annulé le printemps. Ils ont prétendu qu’il apportait en même temps que les fleurs une maladie lointaine venue de Chine. Face à telle prise de guerre, il nous fallut conspirer au retour des beaux jours, car la grisaille s’étendait et menaçait de recouvrir le monde.

Nous disions : « le printemps sera éternel »

***

Inventer toujours autre chose pour ne pas dire la vérité de nos mauvaises humeurs.
Avoir la politesse de n’évoquer rien qui soit trop intense. L’intensité fascine, puis épuise.
Les êtres trop intenses sont voués à rester seuls.
On ne reste dans le monde de ses contemporains qu’à condition de ne parler ni trop fort ni trop bas.
Juste à hauteur de conventions.
Qui y contrevient met ses semblables dans une insatiable humeur sacrificielle.
Vous voilà devenu, feuille morte ballottée aux quatre vents des rumeurs.
Des chuchotis à peine audibles, mais assez présents que pour vous rendre fous.
Puis, une fois qu’on vous trouve atteint de démence, on y puise toute légitimité à vous ostraciser.
Le motif est là, dans l’évident décalage de vos gestes.
Vous voilà seul dans l’immensité menaçante des choses à découvrir.
Rendu à votre solitude première.
Il ne vous reste plus qu’à trouver la nouvelle cité dont vous serez bientôt chassé.
Étranger fondamental. Métis total.
Mon identité : la fuite.

Je suis monstrueux, car je suis l’enfant des foules et du doigt qui désigne.

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